Allocution de Me Pierre-Claude Lafond lors de la conférence inaugurale de la Fondation
ALLOCUTION D’OUVERTURE
Cycle de conférences
Fondation Claude Masse
Le droit de la consommation et l’héritage de Claude Masse
8 octobre 2024
Chers amis de la Fondation, distingués invités, chers membres de la famille de Claude : Anne-Marie, Laurence, Paul. En ma qualité de président de la Fondation Claude Masse, je suis très heureux de vous accueillir au lancement de ce 9ᵉ cycle de conférences, organisé avec fierté dans les locaux de la Faculté de droit de l’Université de Montréal où Claude a déjà enseigné. Je souligne que la Fondation fête cette année son 23e anniversaire de création. Je me rappelle encore ce jour du mois de juin 2001 et de cette réunion à laquelle Claude Masse participait, tout honoré qu’Option consommateurs ait pensé à fonder un organisme portant son nom.
L’activité d’aujourd’hui s’inscrit dans la mission de la Fondation de soutenir l’éducation et la recherche dans le domaine de la protection du consommateur, comme l’a fait Claude Masse toute sa vie durant, et la Fondation s’est donné pour but de poursuivre l’œuvre de ce grand juriste, disparu trop jeune à 56 ans dans sa maison de l’Île-aux-Grues, il y a cette année 20 ans. Oui… déjà 20 ans…
Parce que la mémoire est, dit-on, une faculté qui oublie, et parce que les plus jeunes d’entre vous n’ont peut-être pas eu l’occasion de le connaître ou d’en entendre parler, je crois pertinent de rappeler le rôle capital qu’a joué Claude dans la naissance et l’évolution du droit québécois de la consommation. Je me permets de dire « Claude », car je l’ai bien connu ; c’était mon collègue, mon voisin de bureau, mon complice, mais surtout mon ami. Il avait une voix exceptionnelle, chaude et affirmée, une poignée de main chaleureuse, une gentillesse exemplaire et il avait l’habitude de vous regarder droit dans les yeux quand vous lui parliez, vous accordant toute son attention. En plus de sa grande intelligence, il avait un sens de l’humour décapant, un optimisme à tout craindre et un amour inconditionnel de la vie. C’était un intellectuel à l’esprit critique acéré et doté d’un grand sens pratique.
Faisons-nous plaisir et écoutons-le parler de droit de la consommation. Mes remerciements à Radio-Canada et à Madame Anne-Marie Dussault de nous avoir donné la permission d’utiliser cet extrait.
[ EXTRAIT AUDIO ]
Claude a toujours été préoccupé par une meilleure protection du petit, du laissé pour compte et, bien sûr, du consommateur qui, à son époque, faisait les frais de contrats abusifs et de pratiques trompeuses ou frauduleuses, et qui, force est de l’admettre, continue encore d’être la proie des commerçants.
Comme l’écrit son grand ami Jean-Louis Baudouin dans la préface des Mélanges qui portent son nom : « Sans un Claude Masse, le droit privé au Québec aurait été tout autre. Il faut […] le remercier […] d’avoir su […] insuffler sa force, son énergie, son souci de l’altérité et son respect pour le pauvre et le démuni. »[1] Au moment de son décès, il avait déclaré que Claude était « un homme à l’enracinement social profond qui croyait que le droit peut régler les problèmes sociaux. Il a toujours combattu pour rendre la justice accessible. » On ne saurait mieux dire. En effet, avant l’établissement du système d’aide juridique, Claude Masse a fondé avec des collègues la première clinique juridique populaire dans le quartier Pointe-Saint-Charles en 1969. Il avait coutume de dire « qu’on a le meilleur système de justice judiciaire au monde » et il souhaitait « que le plus de gens possible puissent en profiter. » Quand il était bâtonnier durant l’année 1996-1997, il a sauvé l’aide juridique de sévères coupures gouvernementales et a essayé de donner accès à une assurance frais juridiques pour tous les Québécois, proposition que le gouvernement d’alors a rejetée.
Claude était une force comme on en rencontre peu dans une vie. Sans lui, le droit de la consommation ne serait pas ce qu’il a été et ce qu’il est aujourd’hui. Rappelons que, pionnier dans l’âme, il a été le premier professeur à dispenser un cours de droit de la consommation dans une université québécoise en 1974. De 1975 à 1981, il a été directeur du Groupe de recherche en consommation, groupe qu’il avait fondé dans cette Faculté et qui a donné lieu à la publication de quatre importants volumes sur la publicité, l’étiquetage des produits de consommation, le crédit et le logement (tous rédigés par Françoise Lebeau, Anne-Marie Morel et Daniel Alain Dagenais, membres ou anciens membres du conseil d’administration de la Fondation), en plus d’autres rapports de recherche combien utiles et éloquents. Mais, sous la gouverne de Claude qui était consultant pour le gouvernement du Québec, ce Groupe a surtout participé à l’élaboration de la Loi sur la protection du consommateur de 1978, ce que peu de gens savent ou se rappellent. Quand on pense au législateur, il convient dans ce cas de reconnaître l’immense contribution de Claude Masse et de son équipe à ce projet.
Il importe également de mentionner son imposant ouvrage de 1 545 pages intitulé Loi sur la protection du consommateur – Analyse et commentaires [2], un répertoire phare publié en 1999 qui s’est mérité le prix de la Fondation du Barreau et qui est encore régulièrement cité par les tribunaux et la doctrine. Pour qui veut connaître le droit de la consommation tel qu’il était à cette époque, et tel qu’il est encore aujourd’hui pour une grande partie, cette brique est la première source à consulter. Le nom de Claude Masse est indissociable du droit québécois de la consommation et de son histoire.
Pour sa contribution exceptionnelle à l’avancement du droit, il s’est mérité plusieurs distinctions : la Médaille du Barreau, le Prix de l’Office de la protection du consommateur et le Prix de la Justice du Québec, lequel représente la plus haute reconnaissance en matière de justice au Québec.
Merci Claude d’avoir donné au Québec un droit de la consommation dont les citoyens avaient bien besoin. Merci de l’inspiration que tu nous a prodiguée à tous et que tu continues de nous prodiguer par ton exemple. Sache que nous prenons bien soin de ta Fondation et que nous continuons ton œuvre, bien qu’imparfaitement. La relève y veille et le cycle de conférences que nous inaugurons aujourd’hui le démontrera de façon éloquente.
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Le thème retenu pour le cycle de cette année, même s’il entend jeter un regard sur le passé et sur l’immense contribution de Claude Masse, s’inscrit au cœur de l’actualité et des défis futurs du droit de la consommation. Je l’ai conçu avec beaucoup d’admiration, de respect et d’amitié et j’espère qu’il soulèvera votre intérêt tout au long des prochains mois.
D’ici au mois de mars 2025, le cycle se déclinera en six conférences portant chacune sur un thème différent, mais axé sur une préoccupation de Claude dans tous les cas. Après la conférence d’aujourd’hui portant sur la définition du droit de la consommation, telle qu’imaginée par Claude Masse et telle qu’on pourrait autrement la concevoir, nous aurons droit à cinq autres interventions sur les grands défis de Claude au cours de sa vie : le crédit et l’endettement des consommateurs, le prêt sur gages, l’accès à la justice, la M.I.U.F. et la responsabilité du fabricant et, enfin, l’équité contractuelle. J’en profite pour remercier nos conférenciers et conférencières d’avoir accepté spontanément et si généreusement mon invitation.
Je vous remercie pour votre attention.
Pierre-Claude Lafond
président
[1] Jean-Louis BAUDOUIN, « Préface », dans Pierre-Claude LAFOND (dir.), Mélanges Claude Masse – En quête de justice et d’équité, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. XI, à la p. XII.
[2] Claude MASSE, Loi sur la protection du consommateur – Analyse et commentaires, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1999.
Ce contenu a été mis à jour le 4 novembre 2024 à 16 h 28 min.